La robe de Hannah ( Berlin 1904 - 2014 ) - Pascale Hugues
- Titre : La robe de Hannah (Berlin 1904 - 2014)
- Auteur : Pascale Hugues
- Editions : Les Arènes
- Date de parution : 20 août 2014
- Nombre de pages : 336
- ISBN : 978-2-35204-325-6
L'auteur
Pascale Hugues, née en 1959 à Strasbourg, est une journaliste et auteure française. Elle vit à Berlin depuis 25 ans. Elle a été correspondante du quotidien Libération de 1989 à 1995 à Berlin. Depuis 1995, elle fait des reportages sur l'Allemagne pour l'hebdomadaire Le Point. Elle rédige également des rubriques pour différents journaux allemands (Tagesspiegel, Tageszeitung, der Spiegel)
Quatrième de couverture
Journaliste française, Pascale Hugues vit à Berlin depuis plus de vingt ans. Intriguée par tout ce qui a pu se passer dans sa rue depuis un siècle, elle décide de partir à la recherche des hommes et des femmes qui l'ont habitée.
Berlin 1904-2014. Le puzzle vertigineux de l'histoire de Berlin s'assemble alors sous nos yeux : on voit la rue se construire en 1904 et s'installer les premières familles d'entrepreneurs, d'avocats et de banquiers. On ressent l'humiliation de la défaite de 1918, les effets de la crise économique et de la montée du nazisme. On tremble avec Hannah et les familles juives qui vivent la douleur de l'exil ou l'enfer de la déportation. On survit aussi avec ceux qui restent, dans la peur des bombardements alliés. Presque détruite en 1945, la rue ne compte plus qu'une poignée d'habitants qui veulent oublier le passé et tout reconstruire. Avec le mur de Berlin, elle se retrouve à l'Ouest. Grise et petite-bourgeoise, la rue accueille pourtant dans les années 1970 quelques artistes rebelles... dont David Bowie. Aujourd'hui, elle est à nouveau tranquille et prospère, comme à sa naissance. Avec des souvenirs en plus. Au terme d'une enquête exceptionnelle, Pascale Hugues réussit à redonner vie aux habitants de sa rue. Son livre se lit comme un roman policier et nous renvoie inexorablement à cette interrogation : qu'aurions-nous fait à leur place ?
Mes impressions
Pascale Hugues, quand elle arrive à Berlin, s'interroge sur l'histoire de sa rue et donc de ses habitants. Cette curiosité la conduit à mener son enquête. Une enquête de voisinage dans un premier temps, qui va la mener de proche en proche parfois beaucoup plus loin. Beaucoup de familles juives vivaient là. Certaines ont fui l'Allemagne nazie au "bon moment", d'autres n'ont pas eu cette opportunité et ont été déportées. D'autres encore, qui n'étaient pas juives, ont dû fuir la rue en 1943, au moment des terribles bombardements qui la détruisirent presque en totalité.
A tout hasard, un jour, Pascale Hugues lance une bouteille à la mer et publie une petite annonce dans le journal Aktuell, un journal (qui existe toujours) publié par la ville de Berlin, diffusé à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, à l'intention des berlinois, des survivants, et de leur descendance. Le message qu'elle rédige alors est : "Qui habitait dans ma rue?"
A sa grande surprise, les réponses fusent. D'Israël, des Etats-Unis... ainsi l'histoire de la rue peut-elle commencer. Un long travail d'enquête, des voyages, des visites au Landesarchiv de Berlin, des questionnements, un véritable travail de fourmi attend la journaliste, mais aussi de belles rencontres, avec parfois des retours douloureux dans le passé pour certains des témoins.
Le livre se compose de 16 chapitres, qui relatent peu à peu l'histoire si singulière de cette rue si tranquille avant la guerre. Un véritable voyage dans le temps nous est proposé, avec l'histoire de chacune des familles retrouvées par Pascale Hugues. Des photos accompagnent le récit, ce qui le rend encore plus palpable. On découvre alors les visages des familles Ernsthaft et Kutschera, habitants du numéro 3. De la famille Kutschera, composée des parents, Josephine et Karl et de deux enfants, Gert et Karin, seuls les parents reviendront des camps. Il y a aussi le petit Hans-Hugo Rothkugel, qui vit aujourd'hui en Californie, se fait appeler Ron, et qui quand il parle de son enfance se remet à parler en allemand. Il y a Hannah, la danseuse qui vit à New-York et y a épousé un allemand. Elle n'a pu garder comme souvenir de son amie Suzanne, couturière, qu'une jolie robe de bal... et il y en a tant d'autres encore.
Au fur et à mesure que l'histoire s'écrit, on a l'impression de bien les connaître, tous ces voisins. Très habilement, Pascale Hugues fait revivre sa rue, l'ambiance, le paysage, tout en maintenant un lien avec ce qu'elle est devenue aujourd'hui. A travers l'histoire de cette rue, c'est un peu l'histoire de Berlin qu'elle nous raconte. Avant-même de connaître l'existence de ce livre, quand je suis arrivée à Berlin, je me suis aussi posé des questions sur "ma rue avant..." j'ai obtenu quelques réponses en lisant cet ouvrage.
Le chapitre qui m'a peut-être le plus touchée est le chapitre 12 qui s'intitule "Les revenants". Il évoque le retour des survivants, soit juste après la guerre, soit des années après.
Ce livre est vraiment une très belle enquête sur une petite rue berlinoise, dont je me dis que les habitants ont eu bien de la chance de voir arriver leur journaliste de voisine ! La robe de Hannah a bien sûr été traduit en allemand sous le titre Ruhige Strasse in Guter Wohnlage - Die Geschichte meiner Narbarn.
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Coup de coeur
p. 30 " Je rêve souvent d'un génie qui jaillirait un jour de sa lampe à huile et me demanderait de faire un voeu. Je n'hésiterais pas un seul instant. Je le prierais de me donner une journée, une journée tout entière pour me promener dans le Berlin d'avant-guerre, dans ma rue encore intacte. "
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p. 49 " Les Kutschera étaient propriétaires du Café Wien sur le Kurfürstendamm, avec salle de billard au premier étage, orchestre sur estrade, magnifique petit jardin et la Filmbühne Wien juste à côté, et du Zigeunerkeller, la "Cave aux Tziganes", une des attractions berlinoises, où des violonistes hongrois accompagnaient de leur musique la bonne chère. "
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p. 58 " Lilli Ernsthaft raconte les cartes d'alimentation marquées d'un grand "J" qui furent introduites au début de la guerre. Les Juifs n'ont droit à aucun poisson et aucune viande. Ne peuvent être vendus aux Juifs que des "légumes grossiers" tels que rutabagas et choux blancs, et encore à certaines heures uniquement. "
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p. 68 " Etait-il possible que les Juifs de ma rue qui, dans les années 30, furent assez clairvoyants, assez débrouillards et assez fortunés pour prendre la fuite à temps soient encore en vie? Retrouver les survivants d'une rue si ordinaire... C'était rechercher une aiguille dans la meule de foin planétaire. Je tentai ma chance, par acquit de conscience, juste pour ne pas avoir à me reprocher mon manque de culot. Je déposai un avis de recherche Wer wohnte in meiner Strasse?, " Qui a habité ma rue? " dans Aktuell, la gazette publiée deux fois par an par le Sénat de berlin à destination des derniers Juifs berlinois dispersés à travers le monde. Ils ne sont plus très nombreux. Sept mille sept cent cinquante-huit abonnés seulement. Chaque année, quelques dizaines de moins. La plupart vivent aux Etats-Unis et en Israël. Aktuell leur offre un lien ténu avec ce Berlin de leur enfance. "
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p.108 " Il (Ron Rothkugel) pose ses limites à cette promenade que je veux lui faire faire le long de notre rue. Surtout ne pas déraper. Votre projet jette une ombre sur le refuge que je me suis construit. Mais à cette heure tardive de la vie, je me sens une certaine obligation envers mes parents que j'ai finalement peu connus. Votre livre est un peu la tombe qu'ils n'ont jamais eue au cimetière de Weissensee. C'est la dernière chance de conserver leur nom et leur histoire. Je crois qu'ils auraient aimé cela. "
La rue de Pascale Hugues aujourd'hui.