Petit pays - Gaël Faye
- Titre : Petit pays
- Auteur : Gaël Faye
- Editions : Grasset
- Date de parution : 24 août 2016
- Nombre de pages : 215
- ISBN : 978-2-246-85733-4
(Clic sur la photo pour accéder au site officiel de Gaël Faye)
Né en 1982 au Burundi d'une mère rwandaise et d'un père français, Gaël Faye est auteur compositeur et interprète de rap.
Quatrième de couverture
"Au temps d'avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et le reste, c'était le bonheur, la vie sans se l'expliquer. Si l'on me demandait "Comment ça va?" je répondais toujours "Ca va!". Du tac au tac. Le bonheur, ça t'évite de réfléchir. C'est par la suite que je me suis mis à considérer la question. A esquiver, à opiner vaguement du chef. D'ailleurs, tout le pays s'y était mis. Les gens ne répondaient plus que par "Ca va un peu". Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé."
G.F.
Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l'harmonie familiale s'est disloquée en même temps que son "petit pays", le Burundi, ce bout d'Afrique centrale brutalement malmené par l'Histoire.
Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de coeur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d'orage, les jaracandas en fleur...L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.
Mes impressions
Suite à la lecture d'un article dans le magazine "Lire", j'ai eu envie de découvrir ce premier roman, dont l'auteur m'était totalement inconnu (je ne suis pas très attirée par le Rap). Et là, je dois dire que je suis abasourdie juste après avoir lu la dernière page et refermé le roman.
Gaël Faye nous fait revivre son enfance paisible dans son petit pays, le Burundi. Le personnage principal du roman, Gabriel, vit à Bujumbura, sur les bords de l'immense lac Tanganyika. Il nous invite dans son univers d'enfant, nous décrit l'impasse dans laquelle ils vivent tranquillement, lui, sa petite soeur Ana et leurs parents. Il nous présente sa bande de copains, les jumeaux, Gino, Armand...et leurs réunions dans un vieux combi Volkswagen abandonné. C'était là qu'ils décidaient de leurs escapades à venir, qu'ils organisaient leurs futurs "chapardages" de mangues chez les voisins...Le bonheur, quoi. Puis arrivent les élections en 1993, puis le coup d'état et la guerre civile, l'affrontement, comme au Rwanda, entre Tutsi et Hutu. Et peu à peu le bonheur s'envole. Et pourtant, dans son impasse, le petit Gabriel se croit à l'abri...puis l'étau se resserre, c'est ensuite seulement dans son lit qu'il se sent à l'abri...puis il leur faudra fuir...
Pendant toute cette période trouble, Gabriel se réfugie dans la lecture de livres que lui prête une voisine, et c'est entre autres ce qui lui permet encore d'espérer. On sent bien que jusqu'au bout il a la naïveté de croire que son univers ne sombrera pas...et on a envie d'y croire avec lui.
Ce qui est fort et troublant dans ce roman, c'est le ton toujours égal et calme avec lequel l'auteur raconte, ce qui donne pour finir une dimension assez impressionnante aux scènes de violence (et quelle violence).
Un premier roman très puissant.
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* Petit Pays vient de recevoir le Prix Goncourt des lycéens le 17 novembre 2016 * (édit du 20/11/2016)
p.9-10 - "Vous voyez, au Burundi c'est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez. [...] et puis il y a les Tutsi, comme votre maman. Ils sont beaucoup moins nombreux que les Hutu, ils sont grands et maigres avec des nez fins et on ne sait jamais ce qu'ils ont dans la tête. [...] alors j'ai demandé
- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire?
- Non, ça n'est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors...ils n'ont pas la même langue?
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors, ils n'ont pas le même dieu?
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors...pourquoi se font-ils la guerre?
- Parce qu'ils n'ont pas le même nez.
La discussion s'était arrêtée là. C'était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa non plus n'y comprenait pas grand-chose. A partir de ce jour-là, j'ai commencé à regarder le nez et la taille des gens dans la rue. Quand on faisait des courses dans le centre-ville, avec ma petite soeur Ana, on essayait discrètement de deviner qui était Hutu ou Tutsi. On chuchotait :
- Lui avec le pantalon blanc, c'est un Hutu, il est petit avec un gros nez.
- Ouais, et lui là-bas, avec le chapeau, il est immense, tout maigre avec un nez tout fin, c'est un Tutsi.
- Et lui, là-bas, avec la chemise rayée, c'est un Hutu.
- Mais non, regarde, il est grand et maigre.
- Oui, mais il a un gros nez!
C'est là qu'on s'est mis à douter de cette histoire d'ethnies."
p. 73 "On passait notre temps à se disputer, avec les copains, mais y a pas à dire, on s'aimait comme des frères. Les après-midi, après le déjeuner, on filait tous les cinq vers notre quartier général, l'épave abandonnée d'un Combi Volkswagen au milieu du terrain vague. Dans la voiture on discutait, on rigolait, on fumait des Supermatch en cachette, on écoutait les histoires incroyables de Gino, les blagues des jumeaux, et Armand nous révélait les trucs invraisemblables qu'il était capable de faire, comme montrer l'intérieur de ses paupières en les retournant, toucher son nez avec sa langue, ..."
p.84 "Dans le quartier, son surnom c'était Kodak, non pas à cause de sa passion pour la photographie, mais parce qu'il avait des tonnes de pellicules dans ses cheveux gras."
p.133 "Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J'ai découvert l'antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre. Ce camp, tel un prénom qu'on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C'était soit l'un soit l'autre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j'ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m'échappaient depuis toujours.
La guerre, sans qu'on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n'ai pas pu. J'étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais."
p.167 "J'aurais voulu dire à Gino qu'il se trompait, qu'il généralisait, que si on se vengeait chaque fois, la guerre serait sans fin, mais j'étais perturbé par ce qu'il venait de révéler sur sa mère. Je me disais que son chagrin était plus fort que sa raison. La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste."
p.213 " Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j'ai compris que je l'étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore."