Point de fuite - Marie Colot & Nancy Guilbert
- Titre : Point de fuite
- Autrices : Nancy Guilbert et Marie Colot
- Editions : Gulf Stream Editeur
- Date de parution : 8 octobre 2020
- Nombre de pages : 421
- ISBN : 978-2-35488-791-9
Cette lecture est une lecture commune avec Pauline du blog Entre les pages et Blandine du blog Vivrelivre.
Les autrices
Nancy Guilbert est une autrice jeunesse française, elle est maman de trois enfants et vit dans le nord de la France. Elle aime aller très régulièrement au contact de son jeune lectorat - elle est professeur des écoles - et de leurs parents et éducateurs. Point de fuite est son quatrième roman jeunesse à quatre mains, après Ma liberté tout en couleurs avec Sylvie Baussier aux éditions Oskar, Deux secondes en moins avec Marie Colot déjà et Les mots d'Hélio avec Yaël Hassan, ces deux derniers aux éditions Magnard Jeunesse.
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Née en 1981, Marie Colot est une autrice jeunesse belge. Enseignante de formation, elle publie son premier roman en 2012, "En toutes lettres". Depuis, elle n'a cessé d'écrire pour les adolescents.
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Quatrième de couverture
Je compte en silence jusqu'à 756 et, enfin, sa colère s'arrête. D'habitude, elle se calme aux alentours de 500. J'en ai déjà passé quelques soirs à compter, compter, compter. C'est ma technique pour penser à autre chose, pour tenir bon et me convaincre que ça s'arrêtera bientôt.
Mona, lycéenne lumineuse, a tout pour être heureuse : une chouette famille, du talent pour le dessin - passion dont elle veut faire son métier - et depuis peu, un amoureux prévenant et merveilleux. Elle ne remarque pas qu'incidieusement, ce dernier l'enferme dans une étreinte malsaine, transformant son existence en cauchemar. Désormais, face au miroir, les traits tirés, qui aurait cru que Mona ressemblerait un jour à ce tableau qu'elle a tant étudié, celui de la Femme qui pleure ?
Autour de la jeune fille gravitent Marin, son meilleur ami, Lya, voisine dont elle ravive le passé douloureux, Esther, alliée inattendue, et Cassien, poète et témoin de la cruauté humaine sous toutes ses formes. Tous mêlent leurs destins au sien, pour l'aider à s'échapper de cette toile dans laquelle tant d'autres avant elle sont tombées.
UN RÉCIT SAISISSANT DE RÉALISME DANS LEQUEL DES VOIX S'ALLIENT POUR DÉNONCER LA VIOLENCE, QUELLE QU'ELLE SOIT, ET METTRE DES MOTS SUR L'INDICIBLE.
Mes impressions
Mona, promise à de belles études en art, est une fille pétillante et lumineuse. Avec sa belle chevelure rousse, elle ne laisse pas les passants indifférents et attire souvent les regards admiratifs lors des séances photo qu'elle s'amuse à faire sur fond de monuments et paysages parisiens avec Marin, son ami d'enfance. Marin, lui, le seul art qui l'intéresse c'est justement la photo. Sa mission à lui, c'est plutôt de sauver la planète. Et il apprécie quand Mona accepte de l'accompagner aux manifestations.
Seulement voilà. Depuis sa rencontre avec Joshua au musée, Mona n'est plus la même. Marin ne l'intéresse plus, elle a mieux à faire. Elle est amoureuse, comme envoûtée par ce type. D'accord, il présente bien, c'est un véritable dandy. Et puis il a de la conversation. Il fait bonne impression. A tel point que les parents de Mona, réticents pour commencer, finissent par accepter qu'elle s'installe avec lui. La présence aux côtés de Mona de ce jeune homme passionné d'art lui aussi ne peut que lui être bénéfique pour la préparation de son concours d'entrée à l'ENSBA Paris (les Beaux Arts). Peu à peu les échanges entre Mona et Marin s'amenuisent pour aller jusqu'à disparaître complètement. Une relation toxique s'installe très vite entre Mona et Joshua. C'est lui qui mène le bal, Mona est sa poupée de chiffon. Petit à petit Mona perd pied, s'efface. Elle n'est plus que l'ombre d'elle même. Mais que se passe-t-il ? Jusqu'où cela va-t-il la mener ?
Autour de Mona, plusieurs personnages prêtent leur voix et leur expérience à ce récit. Marin bien sûr, mais aussi Esther la soeur de Joshua, Lya la voisine, et puis Cassien. Cassien le poète, personnage très central, mais à la fois si discret. Il m'a beaucoup touchée. L'extrême violence qu'il a vécue lui vaut d'écrire, encore et encore, pour exorciser la douleur. Très habilement, les autrices font entrer dans la danse les différents personnages, ou bien les font sortir. Alors que le comportement inacceptable de Joshua occupe la plus grande partie de l'histoire, le lecteur n'entre pas dans ses pensées. Ou plutôt si. On ne pense qu'à ça. C'en est obsédant, envahissant, comme sa relation avec Mona. Mais pourtant aucun chapitre ne lui est directement consacré. Le roman comporte trois parties distinctes, dont les titres sont des noms de tableaux :
Les amants (début du printemps) huile sur toile de René Magritte, 1928 ( Ycare, Marin, Esther, Mona)
Le cri (fin de l'hiver, un an plus tard) tempera sur carton d'Edvard Munch, 1893 (Mona, Lya, Esther, Cassien, retour de Marin vers la fin)
La nuit étoilée (deux ans plus tard) huile sur toile de Vincent Van Gogh, 1889 (Esther, Lya, Cassien, Marin, Mona)
Le récit est au présent, comme pour mieux faire sentir l'urgence de la situation. Situation de Mona dans le roman, mais aussi situation de toutes les personnes victimes de violences. Cette urgence qu'il y a à partir quand dans le même temps ce départ semble inconcevable. Point de fuite. C'est vraiment ça.
Dans ce roman choral, il est question de souffrance extrême, mais aussi d'écoute, de bienveillance, d'entraide et d'amitié.
Nancy Guilbert et Marie Colot sont de véritables brodeuses de mots, qu'elles ont toujours justes. Le roman est construit comme la toile d'une araignée - araignée qui revient d'ailleurs à plusieurs reprises dans l'histoire - cette araignée qui effraie Mona, l'emprisonne et la paralyse peu à peu. Mais ici la toile s'apparente plutôt à un filet de sécurité, que les autrices élaborent et installent peu à peu pour Mona mais aussi pour le lecteur. S'il t'arrive la même chose un jour, tu auras les clefs, les indices, les outils.
p.290 Cassien "En cette fin d'après-midi de mars plutôt ensoleillée pour la saison, on se promène, tous les deux. On discute de tout et de rien, je lui lis mon dernier poème et elle me dit que Jeanne a raison, que je dois présenter mes textes, qu'ils sauveront des vies. Ces mots qu'elle emploie, "sauver des vies", me bouleversent et me piquent les yeux, c'est le plus beau cadeau qu'on m'ait jamais fait."
Le tout sur fond d'art, de musées et de tableaux, comme pour apporter de la douceur et de la couleur à ce tableau si noir. Point de fuite, c'est aussi un terme artistique. Le choix du titre est très judicieux, il fait tellement sens ! La couverture, ainsi que le livre lui-même, avec sa tranche rouge vif, sont magnifiques. On apprend toujours dans les oeuvres de Marie Colot et Nancy Guilbert et j'adore ça !
Le thème est malheureusement plus que d'actualité. J'ai commencé la lecture de ce roman le jour où les médias nous apprenaient le 39ème féminicide de l'année, une femme immolée par son ex-conjoint, le mardi 4 mai. Je termine cette chronique alors qu'il y a deux jours, une jeune femme de 22 ans a été poignardée à mort en pleine rue par son conjoint. Le 43ème féminicide en France depuis le début de l'année.
Dans une note en fin d'ouvrage, Nancy et Marie rappellent, pour toutes les victimes de violences, hommes et femmes, que cette violence soit physique ou psychologique (jusqu'à l'emprise) les coordonnées d'associations, les numéros de téléphone utiles en France comme en Belgique ainsi que les sites internet accessibles.
En fin d'ouvrage figure également un index de toutes les oeuvres d'art citées tout au long du roman. J'ai très envie d'en faire un padlet !
Je veux dire ici un immense MERCI à Marie et Nancy pour cette nouvelle oeuvre belle et utile à la fois. Bravo à vous deux pour cette nouvelle prouesse, vous alliez à merveille et avec une grande subtilité l'utile à l'agréable, l'indispensable vérité à l'indicible, la souffrance à la beauté. Et tout cela à quatre mains. Quelle chance pour nous, lecteurs, de vous avoir !
Un grand merci également à Pauline et Blandine, mes complices de lecture. Quel plaisir d'échanger avec vous dans nos lectures communes !
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Gros coup de coeur
p.265 Mona "Il roule à vive allure, il hurle dans les descentes et je reçois tous les chocs. Ceux des mots, ignobles, coupants, rageurs. Ceux des gestes de trop. Les premiers étaient presque doux, à peine visibles. Autour du poignet ou dans le bas du dos. Des accidents, pas grand-chose. Une bousculade qui tourne mal. Joshua ne sent pas sa force. "Mon amour, je ne voulais pas. C'est toi qui me mets dans cet état. Je t'aime tellement que je ne suis parfois plus moi-même." Ce soir, une fois de plus, je ne reconnais pas l'homme que j'aime."
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p.333 Marin "J'ai eu du mal à répondre. Ma mère s'est approchée de moi. - Dans tous les cas, Marin, on ne porte jamais quelqu'un sur ses épaules, parce qu'on finit par tomber avec elle, mais on reste là, à côté. Et si on voit que ce n'est pas suffisant, parce qu'on sent une urgence, on demande de l'aide à quelqu'un de compétent, dont c'est le métier. Si je me cassais le bras, tu ne me couvrirais pas de bisous en me répétant "ça va passer", tu m'emmènerais voir le médecin, n'est-ce pas ?
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Epigraphes
L'art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité. Pablo Picasso
Tout être blessé est contraint à la métamorphose. Boris Cyrulnik