Manger dans ta main - Sophie Carquain
- Titre : Manger dans ta main
- Auteure : Sophie Carquain
- Editions : J'ai lu
- Date de parution : 23 septembre 2020 (première parution aux éditions Albin Michel le 1er mars 2017)
- Nombre de pages : 352
- ISBN : 978-2-290-15861-6
L'auteure
Sophie Carquain est romancière, scénariste et journaliste. Manger dans ta main marque son entrée réussie en littérature adulte. Elle a, depuis, publié Le roman de Molly N., Trois filles et leurs mères : Marguerite Duras, Simone de Beauvoir et Colette (Editions Charleston), Nous étions résistantes (Editions Alisio) et très récemment Simone de Beauvoir, une jeune fille qui dérange (Editions Marabulle). Elle est aussi l'auteure de plus de 200 contes et romans en littérature jeunesse, traduits en plusieurs langues, et lauréate du prix Griffe noire.
Quatrième de couverture
"Engraisser les autres, c'est ce que tu sais faire de mieux !" lance Sandra à sa mère lorsqu'elle lui présente sa nouvelle compagne, Rose, une ravissante cochette d'élevage que Luisa couve de mille attentions.
Pour Sandra, brillante psy parisienne auprès d'adolescents, cette fois, sa mère va trop loin. Il faut dire qu'elle est aussi dure et intransigeante que Luisa est sensible et tendre. A cela s'ajoutent des milliers de kilomètres de distance, un silence infranchissable, et une blessure qui ne guérit pas. Rose saura-t-elle les réconcilier, si toutefois elle échappe à son triste sort ?
Epigraphe
"Ce qu'on met de soi en l'autre est infiniment plus vaste que ce qu'on croit lui confier. Quelquefois, c'est sa propre vie, d'autres fois c'est son âme, sa vocation, sa sauvagerie, sa misère, une dette ancestrale. C'est toujours exorbitant, une valeur passée en douce, clandestine, que l'on s'échange dès le premier regard. Pacte secret qui échappe au destinataire comme à celui qui l'envoie, chacun se chargeant de cacher le fardeau très loin en soi, à l'abri."
Anne Dufourmantelle, En cas d'amour
Mes impressions
Luisa, qui a vécu de nombreuses années à Paris, où ses deux filles ont grandi, est de retour au Portugal, dans la région de l'Algarve. Elle y vit avec son mari Daniel. Sandra, l'aînée, vit encore à Paris où elle exerce le métier de psychologue dans une clinique auprès d'adolescents. Leur relation est souvent houleuse, elles ne parviennent pas à se comprendre. La cause ? Ou du moins le catalyseur ? Probablement l'événement douloureux, le drame, vécu il y a quelques années et qu'elles ne parviennent ni l'une ni l'autre à surmonter. Ou plutôt qu'elles tentent de surmonter chacune à sa façon.
Tout au long de cette histoire, Sophie Carquain nous fait voyager de Paris à l'Algarve, de Sandra à Luisa et nous dévoile leur histoire de façon subtile et délicate. Peu à peu on appréhende cette relation mère-fille à la fois forte et compliquée.
Un matin, Daniel, le mari de Luisa, rentre à la maison avec une cochette. Pour persuader Luisa de la garder, il lui dit que s'ils ne la prennent pas, elle va mourir, puisqu'elle n'a pas eu la force de téter tout de suite après sa naissance. Luisa la sensible finit par accepter assez rapidement et prend sa mission très à coeur. Elle nourrira donc cette cochette, Rose, qui dans un premier temps est traitée comme une princesse. Sandra de son côté ne voit pas cela d'un très bon oeil. Peu à peu on est témoin de la prise de poids de Rose alors que Sandra, elle, sombre dans son anorexie. Le comble pour une psychologue qui est justement censée soigner une patiente anorexique. Luisa, qui n'y connaît rien en cochons, effectue des recherches sur internet, s'inscrit sur un forum, commande un livre, une sorte de bible pour les cochons, et c'est ainsi qu'au début de chaque chapitre concernant Luisa, on peut lire un extrait de ce livre, ainsi que l'âge et le poids de Rose.
p.184 "Trois mois, cinquante kilos"
"Les explorations par IRM ont révélé sa formidable plasticité cérébrale. L'activation du circuit de plaisir est la même chez un mammifère à qui l'on tend une friandise que chez l'homme d'affaires qui anticipe un bonus financier."
Paul WITTAWER, le cochon moderne, chap. VI, "Apprentissages."
p.229 "Six mois, cent kilos"
"Les organes du porc sont de parfaits greffons pour les humains. Mais sommes-nous prêts à marcher, courir et dormir avec un coeur de porc dans la poitrine ?"
Paul WITTAWER, le cochon moderne, chap. XII, "Compatibilités organiques."
Que va-t-il advenir de Rose ? Rose cette cochette si intelligente, qui se dandine au son de la musique, qui comprend Luisa mieux que sa propre fille, Rose qui finit par prendre tant de place. Mais que l'on engraisse tout de même dans le but de la manger ! Et que va-t-il advenir de la relation de Sandra avec sa mère, de Luisa avec sa fille ?
J'ai adoré cette histoire, ces parallèles, les références (je n'ai pas dû toutes les voir !) et la subtilité avec laquelle Sophie Carquain traite ces sujets si délicats de relations mère-fille, de relations humaines, de deuil, de famille. Ce roman est une pépite de sociologie. J'ai aussi beaucoup appris sur les cochons et repensé à mon arrière-grand-mère qui élevait chaque année un cochon (comme tout le monde à la campagne). Quel plaisir de lecture, qui pousse à la réflexion l'air de rien, qui fait bien rire par moments qui qui vous met aussi de temps à autre la larme à l'oeil ! J'ai lu ce livre il y a quelques mois déjà et j'y repense souvent ! Quel talent ! Merci Sophie pour ce petit bijou !
*****
Gros coup de coeur
p.232 "Luisa avait une conscience claire et totale de la singularité de ce cochon. Rose était devenue au contact des humains plus intelligente qu'avant. Sa réputation fit le tour du village. On savait que, près de Loulé, une truie de six mois faisait des galipettes et pitreries, qu'elle chantait et dansait sur des fugues de Bach ou sur du Lou Reed, qu'elle retrouvait les objets égarés dans la maison et regardait la télévision avec sa maîtresse."
p.282 "Quand on est enfant, notre crédit d'innocence est infini. Chaque geste est gratuit. En grandissant, l'illusion se dégonfle. Tout prête à conséquence. La moindre bouchée se transforme en calories, puis en gras, puis en matière à décomposition. Manger parce qu'on a faim? L'anorexique vous retourne la logique comme un gant : ne pas manger parce qu'on a faim. Un brin de carotte râpée peut déclencher un cyclone tout comme le battement d'ailes du papillon. La conversion est une gymnastique cynique qui va, lentement mais sûrement, jusqu'à la mort."