Je t'écris de Berlin - Klaus Kordon
- Titre : Je t'écris de Berlin
- Auteur : Klaus Kordon
- Editions : Gallimard jeunesse (coll. Folio junior)
- Date de parution : 1999 (première édition française, 1994)
- Nombre de pages : 208
- ISBN : 2-07-052703-4
Klaus Kordon, né en 1943 au nord de Berlin-Est, est un auteur jeunesse allemand. Quand sa mère meurt en 1956, il part vivre en foyer (son père était mort à la guerre). Après la construction du mur, il tente de fuir vers l'ouest en 1972. Il échoue et restera un an dans les prisons de la Stasi. En 1973, sa libération est négociée par l'Allemagne de l'Ouest, où il vivra désormais avec sa femme et leurs deux enfants, dont ils avaient été séparés. Klaus Kordon vit aujourd'hui de nouveau à Berlin.
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Quatrième de couverture
Lika, une petite fille de Berlin-Ouest, a trouvé une bouteille que Matze, un garçon de Berlin-Est, a jetée dans la Spree et elle décide de répondre au message qu'il a glissé à l'intérieur. Leurs parents s'inquiètent de cette correspondance. Jusqu'au jour où Matze invite Lika à passer une journée à l'Est... L'histoire d'une amitié étonnante, à l'ombre des complications politiques des adultes, à laquelle la réalité, rejoignant aujourd'hui la fiction, apporte un heureux dénouement.
Mes impressions
Ce livre a été écrit par Klaus Kordon en 1988, soit un an avant la chute du mur de Berlin, ce qui lui donne bien sûr un éclairage particulier. L'auteur était à ce moment-là "passé à l'ouest" et pouvait donc se permettre, à travers ses écrits ( en littérature jeunesse), de dire ce qu'il se passait "de l'autre côté".
C'est donc avec émotion que j'ai lu ce récit de la rencontre entre des enfants de Berlin-Est et des enfants de Berlin-Ouest. Dans l'histoire (et au moment de l'écriture de celle-ci) personne ne sait que très bientôt le mur n'existera plus.
Au-delà d'être une aventure touchante, ce roman est un objet très instructif, et une très belle occasion de découvrir à travers des yeux d'enfants quels étaient les rapports entre les deux Allemagnes, entre les deux Berlin. Le jeune lecteur est ainsi amené à découvrir en même temps que les protagonistes de l'histoire les rouages de ces sociétés tellement proches physiquement et pourtant tellement éloignées.
Lika et Matze ne comprennent pas au départ pourquoi il leur est si difficile de se rencontrer. Ils ont l'impression de ne pas habiter la même ville.
p.38 "- A cause de la frontière, répondit grand-papa. Ta bouteille doit d'abord commencer par aller à Berlin-Ouest. Mais elle ne passera pas. Il y a des grilles dans l'eau."
Cette affirmation, prononcée par un vieux monsieur, et qui s'avèrera inexacte, montre à quel point les gens ne savaient finalement pas grand-chose. Il aurait pourtant pu avoir raison...
Le mur de Berlin (east Side Gallery)
p.62 "- Est-ce que tu te rends compte au moins des ennuis que cela peut nous causer? cria-t-elle (la maman de Matze)
Matze secoua la tête. Pourquoi une lettre écrite par une fille de Berlin-Ouest à un garçon de Berlin-Est leur causerait-elle des ennuis?"
*
p.65 "Matze avait déjà entendu dire quelque chose dans ce sens. Le père d'Ilsa avait deux frères à l'Ouest, l'un à Göttingen et l'autre dans un village quelconque, près de Stuttgart. A cause de ces deux frères, et bien qu'il fût considéré comme un spécialiste de première qualité dans son domaine, il n'était jamais envoyé en mission professionnelle dans le secteur Ouest, ce qui mettait obstacle à sa carrière, bien entendu. Il avait même déjà parlé de demander tout simplement un visa de sortie et d'aller s'installer de l'autre côté. Ilsa disait qu'elle en serait ravie. On pouvait acheter là-bas des vêtements beaucoup chic qu'ici et, au moins, il n'était pas interdit d'aller à Paris et aux Bahamas."
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p.130 " Puis il réfléchit un instant et déclara qu'il ne se rappelait que du Berlin de l'après-guerre.
- A l'époque, il y avait déjà deux Berlin. ou plus exactement, quatre secteurs, le secteur américain, le secteur français, le secteur anglais et le secteur russe. Les trois secteurs occidentaux n'ont pas tardé à se souder, et nous, nous formons l'autre moitié."
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p.141 "Je ne sais pas qui est responsable du mur, répliqua maman en haussant les épaules. Je sais seulement que ce sont les gens de là-bas qui en souffrent le plus. Et que nous, nous faisons le jeu du gouvernement de l'Est si nous nous replions sur nous-mêmes. Que voyons-nous lorsque nous partons en voyage pour l'Allemagne de l'Ouest? Pour nous, le grand trou noir commence derrière Dreilinden*, et nous nous réveillons à Helmstedt** seulement. Alors que la R.D.A. est aussi peuplée de gens bien vivants, comme toi et moi!"
*Dreilinden : poste-frontière entre Berlin-Ouest et la R.D.A.
**Helmstedt : poste-frontière entre la R.D.A. et l'Allemagne de l'Ouest. La ville de Berlin se trouvait à l'intérieur de la R.D.A.
p.144 "- Comment voudrais-tu qu'ils parlent? Ils sont aussi Berlinois que nous.
- Je n'arrive vraiment pas à imaginer Berlin-Est. Je me suis toujours dit que derrière le mur, c'était la fin du monde."
*
p.180 "Ensuite, il y eut un moment de silence général jusqu'à ce que Picpouc reprenne à voix basse :
- Quelle ville formidable on ferait si les deux moitiés étaient réunies! Sans comparaison avec les autres, hein?"
Et puis bien sûr ce livre est aussi l'occasion de découvrir la ville de Berlin, d'Ouest en Est, d'Est en Ouest.
p.85 "Mais le plus drôle était de retrouver des rues ou des places qui existaient encore et n'avaient pas changé de nom : la rue Frédéric (Friedrichstrasse) ou l'allée de Prenzlau (Prenzlauer Allee), par exemple [...] mais surtout la place Alexandre (Alexanderplatz) que Matze et Picpouc aimaient tant parce qu'il y avait toujours beaucoup d'animation à cet endroit-là."
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p.166 "Ensuite ils avaient eu droit tous les quatre à une surprise de taille : l'énorme tour de la Télévision. Ils étaient passés tout près. Vue du bas, elle paraissait presque toucher le ciel."
La tour de la Télévision (Fernsehturm)
Le Müggelsee (gelé ici), endroit où se retrouvent Lika et Matze lors de leur rencontre à Berlin-Est.
A la fin du roman se trouve un texte, "de l'auteur à ses lecteurs", dans lequel Klaus Kordon explique les raisons qui l'ont amené à écrire cette histoire. J'aime beaucoup cette dernière phrase.
p.205 " D'ailleurs, les livres ne sont-ils pas eux aussi, d'une certaine manière, comme des bouteilles à la mer? Les auteurs jettent leurs messages dans l'océan des ouvrages qui paraissent chaque année et ne savent pas qui les découvre. Parfois, il leur arrive quand même de recevoir des réponses et ils apprennent ainsi que leur "bouteille messagère" a bien été trouvée."
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Couverture du livre "Die Flaschenpost" en allemand.