Seul dans Berlin - Hans Fallada
- Titre : Seul dans Berlin
- Auteur : Hans Fallada
- Traduction : Laurence Courtois
- Editions : Denoël, puis Folio
- Date de parution : pour la version intégrale non censurée, 9 janvier 2014 chez Denoël puis 21 mai 2015 chez Folio
- Nombre de pages : 768
- ISBN : 978-2-07-046333-6
L'auteur
Rudolf Ditzen, alias Hans Fallada, né le 21 juillet 1893 à Greifswald et mort le 5 février 1947 à Berlin était un écrivain allemand.
Le pseudonyme Hans Fallada fait référence à deux personnages de contes des frères Grimm : le héros de Hans im Glück (Jean-La-Chance) et le cheval nommé Falada de Die Gänsemagd (La gardeuse d'oies).
Ses romans racontent la vie des gens simples.
En cliquant sur la photo, vous pourrez visionner une excellente émission diffusée sur Arte en 2017, qui relate la vie de l'écrivain.
Quatrième de couverture
Mai 1940, Berlin fête la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d'un immeuble modeste de la rue Jablonski. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C'est Frau Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C'est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quangel, désespérés d'avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers. Aucun roman n'a jamais décrit d'aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité.
Mes impressions
Ce livre, écrit par Hans Fallada au lendemain de la guerre, est le premier (et un des rares) à décrire la résistance des allemands (ici des berlinois) au régime nazi pendant la seconde guerre mondiale.
La version présentée ici est la version intégrale, éditée en janvier 2014 chez Denoël (Edition Folio sur la photo). En effet, lors de sa première édition, juste après la fin de la guerre, certaines parties du roman (comme par exemple celles faisant apparaître Anna Quangel comme une sympathisante de la Frauenschaft) avaient été censurées.
L'histoire se déroule dans Berlin, de 1940 à 1942 et raconte l'implication d'un couple, Otto et Anna Quangel, dans la résistance contre Hitler et son régime. Rien ne laissait présager un tel revirement chez ces gens simples habitant au 55 de la Jablonski Strasse à Prenzlauer Berg, qui quelques années avant avaient été membre des jeunesses hitlériennes pour lui, et de la Frauenschaft (ligue des femmes national-socialiste) pour elle. C'est le décès au combat de leur fils unique qui va les faire changer d'avis. Anna trouve alors un bon moyen de se défaire de ses obligations à la Frauenschaft, et pour exorciser leur douleur, ils se mettent à combattre secrètement, à leur manière, le Reich. Et leur manière, c'est d'écrire, puis de déposer dans des cages d'escaliers d'immeubles berlinois, des cartes aux messages anti-nazis, critiquant le Führer et ses exactions, appelant le peuple à se rebeller. Ils écriront en tout 285 cartes, dont 268 seront récupérées par la Gestapo. Alors qu'ils espéraient faire réfléchir les gens, ils n'ont obtenu de leur part que des réactions de peur panique et de "dénonciations". la presque totalité des cartes s'est retrouvée dans les bureaux du siège de la gestapo, dans la Prinz-Albrecht-Strasse. Aujourd'hui cette rue s'appelle la Niederkirchnerstrasse, et l'ancien siège de la Gestapo est un lieu de mémoire pour toutes les victimes du nazisme. Face au bâtiment les cellules sont encore visibles. Un lieu doublement marqué par l'histoire puisque moins de 20 ans après la fin de la guerre, le mur de Berlin était érigé juste devant. Voici quelques photos.
Cellules, situées à la cave, dans lesquelles les opposants au régime étaient emprisonnés et torturés.
Les restes du mur, passant juste devant l'ancien QG de la gestapo.
Le texte de la première carte :
"Mère! Le Führer a assassiné mon fils...Mère! Le Führer va aussi assassiner tes fils, il n'arrêtera pas, même quand il aura porté le deuil dans chaque maison de cette terre"..." p.212
Hans Fallada, pour écrire ce roman, s'est inspiré d'une histoire vraie, celle d'Otto et Elise Hampel, qui habitaient Moabit, Amsterdamerstr.10. C'est suite au décès du jeune frère d'Elise à la guerre qu'ils décident d'écrire leur première carte. Ils seront finalement dénoncés, condamnés et exécutés le 8 avril 1943 à la prison de Plötzensee. Pour écrire leur histoire, Hans Fallada s'est appuyé sur les procès verbaux des interrogatoires de la Gestapo subis par le couple.
Elise et Otto Hampel, après leur arrestation.
L'une des nombreuses cartes écrites par le couple.
Après la découverte des premières cartes commence une véritable chasse à l'homme dans Berlin, dans une ambiance de terreur, de danger imminent permanent. Cette histoire nous donne un reflet de l'état d'esprit à Berlin à cette période. Les uns étaient lâches, les autres perfides, tous étaient méfiants, et la cruauté n'était jamais loin... On réalise alors à quel point il était compliqué et dangereux de résister à cette époque, à Berlin de surcroît. Tout le monde épiait potentiellement tout le monde.
p. 690 "Car l'inspecteur Laub travaillait selon le principe de cette époque : tout le monde a quelque chose sur la conscience. Il suffit de chercher assez longtemps, et on trouve toujours quelque chose."
Le tour de force de Fallada est de nous montrer ces relations dans le quotidien d'une micro-société qu'est l'immeuble des Quangel. Y cohabitent les persécuteurs, les persécutés, les gens "normaux", les Résistants...
Primo Levi a dit de "Seul dans Berlin" qu'il est "l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie".
Ce roman, inspiré d'une histoire vraie et de faits réels, montre et analyse brillamment les rouages de cette machine infernale. Il dit l'état psychologique de peur panique dans lequel ce système pervers avait plongé les Berlinois. Et le courage incroyable de certains d'entre eux.
Avoir la possibilité de lire ce livre à Berlin donne une autre dimension à la lecture, la rend encore plus forte je crois. Merci aux éditions Denoël pour l'envoi de ce roman (et merci Gaëlle pour le prêt du tien !)
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Après avoir lu ce roman, j'ai visionné le film, Seul dans Berlin, de Vincent Perez sorti en 2016, avec Emma Thompson (Anna Quangel), Brendan Gleeson (Otto Quangel) et Daniel Brühl (Escherich). J'ai été un peu déçue par l'absence de certains personnages et de certaines scènes. Il est toutefois compliqué de faire figurer dans un film d'une heure et quarante minutes le contenu d'un roman de plus de 700 pages et d'une telle densité. Malgré tout, l'ambiance du roman y est très bien restituée et la distribution des personnages principaux est judicieuse. Exceptionnellement, il est peut-être dans ce cas-là plus intéressant de voir le film avant de lire le livre?
(Clic sur l'image pour accéder à la bande annonce du film)
Je suis ensuite partie sur les traces d'Elise et Otto Hampel dans Berlin, voici quelques photos. ( Je n'ai volontairement pas mis de photo de la salle d'exécution de Plötzensee, trop dur...)
Elise et Otto Hampel vivaient au numéro 10 de la Amsterdamer Strasse
Dans cet immeuble
Entrée du mémorial de Plötzensee, où Elise et Otto Hampel (Anna et Otto Quangel dans le roman) ont été exécutés en 1943
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p.36 " Non, il ne peut pas retourner chez Otti sans argent. Soudain, il pense à la vieille Rosenthal, elle habite toute seule maintenant, sans défense, au quatrième étage du 55, rue Jablonski. Qu'il n'ait pas pensé plus tôt à la vioque, à la Juive, c'est pourtant une affaire bien plus juteuse que ce vieux vautour de Quangel! "
p.58 " Non, cette guerre n'aurait pas dû arriver; si le Führer était vraiment un grand homme, il aurait dû l'empêcher. Pour ce petit bout de Dantzig et l'étroit corridor - et à cause de ça, des millions de gens qui risquaient tous les jours leur vie - un vrai grand homme n'aurait pas laissé faire ça!
Mais il faut dire que les gens racontaient qu'il était un enfant naturel. Alors il n'avait sûrement pas eu de mère pour s'occuper vraiment de lui. Et donc il ne pouvait pas savoir comment se sentaient les mères avec cette angoisse immense qui ne voulait pas finir. Après avoir reçu une lettre du front, on se sentait mieux pendant un ou deux jours, et puis on calculait quand elle avait été envoyée, et puis l'angoisse revenait. "
p.89 " Quand on y pense, reprend alors Barkhausen, on a quand même la belle vie. Toutes ces belles choses ici " , il hoche la tête, " et on peut prendre tout ce qu'on veut, et on fait carrément une bonne action en plus de ça, en reprenant à une Juive tout ce qu'elle nous a volé, on le sait bien... "
p.197 " Mais la conversation téléphonique qu'avait eue son mari s'infiltra dans le réseau de Berlin, elle se propagea, elle mena ici, puis là, on prit des renseignements, on posa des questions, on chuchota sous le sceau du secret le plus strict. Parfois, la conversation semblait dévier tout à fait de son objectif initial, mais grâce à l'excellence et l'infaillibilité du service automatique interurbain, elle retrouvait toujours son chemin, jusqu'à ce qu'enfin, grossie jusqu'à l'avalanche, elle trouve la petite antenne de la Frauenschaft dont dépendait Anna Quangel. A ce moment-là, deux dames y tenaient la permanence (de façon bénévole), l'une sèche avec des cheveux blancs, décorée de la Mutterkreuz, la croix des mères, l'autre rondelette et encore jeune, mais avec une coupe d'homme et les insignes du parti sur le renflement de la poitrine. " (scène particulièrement bien restituée dans le film de Vincent Perez)
Otto Quangel, au sujet des gens qui se "cachent" derrière leurs croyances religieuses :
p. 471 " - Laisse donc, Otto! Les gens pieux comme eux ont la vie plus facile par les temps qui courent. Ils ont au moins quelqu'un vers qui se tourner avec tous leurs soucis. Et ils croient que tous ces meurtres ont un sens.
- Merci! fit Quangel, soudain fâché. Un sens! Mais tout ça n'a aucun sens, aucun! Et parce qu'ils croient au ciel, ils ne veulent rien changer sur la terre. Que ramper par terre, et se défiler! Au ciel, tout ira mieux! Dieu sait pourquoi tout cela arrive. Nous l'apprendrons au Jugement dernier! Ah non, merci. " Quangel avait parlé précipitamment, très fâché. "