A la guerre comme à la guerre - Dessins et souvenirs d'enfance - Tomi Ungerer
- Titre : A la guerre comme à la guerre
- Auteur : Tomi Ungerer
- Editions : L'Ecole des Loisirs (collection Médium)
- Date de parution : 14 septembre 2002
- Nombre de pages : 126
- ISBN :978-2211066488
Tomi Ungerer est né le 28 novembre 1931 à Strasbourg. Affichiste, auteur-illustrateur, inventeur d'objets, collectionneur, dessinateur publicitaire, il est considéré depuis plus de soixante ans comme l'un des plus importants auteurs de littérature jeunesse. Il est mort paisiblement dans son sommeil le 9 février 2019, il y a deux semaines.
Ses livres ont été traduits en plus de quarante langues, et certains ont fait l'objet d'adaptations cinématographiques.
Dans toute son oeuvre, l'auteur des Trois Brigands n'a de cesse de prôner l'enseignement de la vérité aux enfants. ( Pour en savoir plus et accéder à la page Tomi Ungerer, cliquez sur le mot "L'auteur" ci-dessus )
Dans son dernier livre, Ni oui ni non, paru à L'Ecole des Loisirs en mars 2018, Tomi Ungerer répondait à la question de Giovanni, 4 ans, "Est-ce que c'est intéressant de mourir ?" "Pour ma part, je trouve que le mystère est une forme de suspense titillant. Poussés par la curiosité, ne devrions-nous pas être impatients de mourir pour savoir enfin ce qui nous attend ? L'ignorance, dans ce cas, est aussi une forme de liberté. La mort est une certitude, et ma présence à mon enterrement en est sans doute une aussi."
et à la question de Manon, 6 ans, "Peut-on penser quand on est mort ?" "... Qui mourra verra. En attendant, rien ne nous empêche de penser à la mort et à tout ce qui touche à la vie. (...) Ma chanson préférée est allemande et elle a ce refrain : Die Gedanken sind frei (les pensées sont libres) ! ...Notre pensée nous appartient et nous distingue des autres. C'est un grand privilège. Si la pensée devait nous accompagner dans l'au-delà, nous resterions indépendants pour l'éternité."
La chanson Die Gedanken sind frei a été chantée, conformément aux voeux de Tomi ungerer lors de la cérémonie lui rendant hommage à la cathédrale de Strasbourg le 15 février.
(Clic sur la photo pour accéder au site officiel de Tomi Ungerer, allez voir la vidéo dans laquelle il parle de l'imagination illimitée, et de la mort)
Quatrième de couverture
Tomi Ungerer est Alsacien, comme vous-mêmes êtes Breton, Parisien, Basque, Ch'timi ou Berrichon. Ca paraît simple, et pourtant c'est très compliqué. Car après la guerre de 1870, l'Alsace a été annexée par l'Allemagne. Après la victoire de 1918, elle est redevenue française. Mais suite à la débâcle de 1940, elle est redevenue allemande. Et en 1945, française à nouveau.
Tomi a huit ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate.
Du jour au lendemain, il doit changer de nom, parler allemand, écrire en gothique, faire un dessin raciste pour son premier devoir nazi. Il obéit, il s'adapte. Il devient un caméléon : Français sous son toit, Allemand à l'école, Alsacien avec les copains. Heureux, quoi qu'il arrive.
A la maison, sa mère, fantasque, chaleureuse et rusée, veille. Elle l'encourage à dessiner et à écrire, à rire et à faire rire, à déployer tous ses talents. Toute sa vie, elle a conservé les cahiers, les croquis, les devoirs, le journal intime de son fils, les affiches de l'époque. Ce sont ces archives incomparables qui ponctuent et réveillent les souvenirs de guerre de Tomi Ungerer.
Mes impressions
Ce livre, que je souhaitais lire depuis longtemps déjà, j'ai décidé de le lire en apprenant la mort de Tomi Ungerer. C'est triste, de faire enfin "plus ample connaissance" alors qu'il vient de partir... Mais en même temps, j'ai l'impression d'avoir lu A la guerre comme à la guerre avec plus d'intensité, avec encore plus d'attention peut-être. Merci aux éditions L'Ecole des Loisirs de m'en avoir offert l'opportunité.
Tomi Ungerer nous offre ici le récit de son enfance juste avant, pendant et juste après la guerre. Comme son titre Dessins et souvenirs d'enfance l'indique, il est illustré de dessins de Tomi lui-même, mais aussi d'extraits de son journal, de photos de famille, d'objets lui ayant appartenu (son Teddy-Bear qui rappelle tellement Otto !) Tout au long de ma lecture, je l'entendais parler, me raconter avec son air espiègle ses "bonnes blagues", ses aventures d'enfance, heureuses et moins heureuses.
p.21 " J'étais dispensé de la messe matinale. C'est ainsi qu'un matin, jouant à l'équilibriste entre deux bancs de classe, je fis une chute sur la tête ; elle me valut une fêlure du crâne qui par la suite devait se révéler d'utilité patriotique. J'étais aussi tombé dans les pommes. Je me rappelle que, reprenant conscience, je dis :
- Où suis-je ?
Je savais fort bien où j'étais, mais j'avais lu cette formule dans un livre, elle m'avait impressionné et je n'ai pas hésité à l'utiliser pour affoler mon institutrice."
p.26 "Mon teddy-bear était mon meilleur ami. Il l'est toujours aujourd'hui, avec son pantalon rayé bleu et blanc, le même que le mien quand je faisais sa taille. Pendant la période où nous risquions l'évacuation, je le gardais toujours dans mon sac à dos."
Le récit est divisé en trois parties : "Avant la guerre", "La guerre" et "La libération".
Avant la guerre, Tomi vit avec sa maman, ses deux grandes soeurs Edith et Vivette, et son grand frère Bernard. Après le décès du papa, la famille s'installe dans la banlieue de Colmar. Tomi est alors un petit dernier choyé, qui fréquente "le lycée Bartholdi, pour éviter la contamination de l'école communale".
Puis c'est la guerre, Tomi doit changer d'école. L'Alsace est germanisée, Tomi s'appelle désormais Hans, doit apprendre l'allemand, n'a plus le droit de parler français. A la maison, sa maman, très intelligente, maintient le français, avec de surcroît la bénédiction des autorités allemandes du secteur ! Son argument, imparable :
p.53 "Oui, dit-elle, vous ne m'empêcherez pas, jamais, de parler le français ; et pourquoi ? Je vais vous le dire : si plus aucun Allemand ne parle le français, comment comptez-vous administrer la France après la grande victoire finale ?"
A l'école, le premier devoir qu'on lui demande après la rentrée est de "dessiner un Juif". Quand on les oblige à dire "Heil Hitler", ceux qui ne veulent pas le dire, et Tomi en fait partie, disent à la place "Ein Liter" (un litre) ce qui leur permet de désobéir à leur manière, en passant inaperçus.
Après quatre années d'occupation arrive enfin la libération, avec tous les dangers que cela comporte pour les civils. De nouveau, changement de langue, de références culturelles, de noms des rues... presque à nouveau un changement d'identité.
p.86 " A Saint-Gilles, il y avait encore une stèle en granit datant de la Première Guerre mondiale, sur laquelle était gravé le contour d'une mitrailleuse MG.08.Maxim avec la mention "Gott strafe England", Dieu punisse l'Angleterre. C'est bien ça la guerre, Dieu invoqué de partout finit par punir tout le monde, surtout les innocents. "
p.110 " Ce pansement, devenu symbolique, je l'ai arraché. Avec lui j'ai arraché mon enfance, mes yeux se sont ouverts, j'ai arraché mes paupières, mes oreilles se sont ouvertes, je les ai arrachées. Ma langue ? Elle avait déjà été arrachée. Heureusement qu'à cet âge, sans greffe et sans anesthésie, la panoplie des organes repousse comme la queue des lézards."
A la guerre comme à la guerre, c'est à la fois un document historique sur la période de la seconde guerre mondiale en Alsace, mais c'est aussi et avant tout un témoignage tellement émouvant de Tomi Ungerer, de l'artiste, l'enfant qu'il était et qu'il est resté, jusqu'à la fin. On y retrouve déjà toutes les composantes de sa personnalité unique : son humour caustique, son optimisme, sa façon de tourner en dérision chaque situation, ce côté intrépide qui le caractérisait. Mais on y voit aussi les peurs initiales, les traumatismes, les fêlures. Et à l'origine, l'esprit inventif, la créativité, dont il était, tout petit, déjà animé. Il avait par exemple établi un "livret de famille de ses poules" !
Et puis bien sûr, pour accompagner cet esprit créatif, Tomi était doté d'un don indéniable pour le dessin, dès son plus jeune âge. Nous, lecteurs, fans de Tomi, nous ne pouvons que remercier sa maman de l'avoir toujours encouragé, puis d'avoir conservé ces pépites toutes ces années pour qu'elles nous parviennent aujourd'hui. Merci aussi à L'Ecole des Loisirs d'avoir consigné ces souvenirs dans un si joli ouvrage.
Il me tarde maintenant d'aller admirer "pour de vrai" cette belle collection au Musée Tomi Ungerer de Strasbourg.
En attendant, je viens de commander Otto chez mon libraire.
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p.50 "Deux semaines avant la chute du Mur, on m'interrogea à Berlin-Est lors d'une conférence de presse.
- Quelle est votre devise ?
- Kraft durch Freude (La force par la joie), répondis-je.
Etat de choc dans le public. Pour retourner le couteau dans la plaie, j'ajoutai :
- Ce n'est quand même pas ma faute, si le Dr Goebbels a inventé cette formule. Elle me semble parfaite, je répète donc : Kraft durch Freude !
Plus tard, j'ai aussi dit que l'Alsace était comme des toilettes toujours occupée. "
p.74 "Avec le Land de Bade, l'Alsace formait désormais le Gau Oberrhein (Haut-Rhin). Ce qui permettait aux Allemands d'envoyer légalement les jeunes Alsaciens dans la Wehrmacht, voire dans la SS, en fonction de la taille, de la constitution et de la couleur des cheveux. La chair à canon alsacienne était maintenant prête à fertiliser les steppes russes. Plus de 100000 Alsaciens furent concernés, un cinquième d'entre eux y trouva la mort."
p.77 "Quant à notre cercle familial, il ne semblait que se renforcer au fur et à mesure des menaces. Nous passions nos soirées réunis autour de la table : on sirotait des tisanes, on jouait au mentana, un jeu de cartes, on dessinait, on tricotait, on cousait, on bricolait. La lecture à haute voix tenait un grand rôle dans ces veillées. Le Ludwig Richter Hausbuch, un ouvrage de lecture, la collection des livres de contes de fées dont ma mère était férue, étaient une source inépuisable d'inspiration, parmi tant d'autres. C'est avec le plus grand respect que les volumes étaient tirés de la bibliothèque de mon père : la Vie en Alsace avec les dessins de Schnugg, la Springer Kunstgeschichte, un livre d'histoire de l'art, le grand volume des Fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, l'énorme atlas dans lequel nous suivions la mobilité du front.
Mes premières lectures furent fournies par la Bibliothèque Rose, la comtesse de Ségur en l'occurence. Mon premier livre d'images fut un album de Benjamin Rabier. Le Struwelpeter, les Pieds Nickelés, L'Espiègle Lili, Wilhelm Busch, le Familienbuch illustré par Richter faisaient bon ménage avec Hansi, Samivel, Gustave Doré. Mais c'est surtout le Petit Larousse dans sa reliure saumonée, avec ses pages roses, ses multiples vignettes et planches, qui nourrissait mon imagination."