Berlin pour elles - Benjamin de Laforcade - Editions Gallimard
L'histoire commence à Berlin Est en 1967 avec des amitiés improbables, d'enfance pour l'une, de douleurs partagées pour les autres. L'auteur a un don pour lier de manière très subtile le ronronnement d'un système établi et l'intimité profonde des personnages, ce qui les rend très attachants. Ces personnages, que l'on rencontre en 1967, on les retrouve en 1975, puis en 1988 pour les laisser en 2016.
Hannah la blonde et Judith la brune, deux petites filles que tout oppose et qui pourtant vont se lier. Pour la vie. Leurs mères, Rita et Inge, aussi. Werner le clown, ancien soldat qui noie son chagrin et son traumatisme dans l'alcool et Harald le pasteur veuf, qui a recueilli Werner un jour en piteux état sur le trottoir. Ils ont un secret. Et les secrets sont compliqués à porter là-bas à cette époque. Il y a Karl aussi. Le fils du pasteur. Qui déverse sa rancoeur dans les mauvaises actions mais qui tire toujours son épingle du jeu. Jusqu'à quand ?
On assiste au fil des ans au resserrement de l'étau, à l'absurdité assumée d'un système qui se grippe tout seul. Certains des personnages en ont conscience et l'auteur nous le fait très bien ressentir. Sans jamais le dire. On écoute, on observe, on trahit, on entre chez les gens en leur absence pour déplacer des objets et assister à leur glissement lancinant dans la folie. Ça fait partie du stratagème. Puis on les arrête, les balade dans les rues, coincés dans une minuscule cellule à l'intérieur d'une camionnette banalisée pour les étourdir. Pour les perdre. Chacun est susceptible d'observer chacun. Certains en deviennent fous. Des familles se déchirent. Quelques uns passent à l'Ouest, d'autres en prison.
Avec une écriture concise, directe, efficace, l'auteur laisse une grande place à son histoire, à ses personnages et au lecteur. C'est là toute la force de ce roman bouleversant. La fin m'a sidérée. C'est criant de vérité et de mensonges, d'espoir aussi.